Des townships à la scène
"La compagnie Via Katlehong Dance est créée en 1992 par quatre danseurs de rue, issus du ghetto de Katlehong (dont elle tire son nom) qui connait alors de nombreux soulèvements. Dans tous ses spectacles, la compagnie défend la culture pantsula dont elle est issue. Dès le départ, elle initie un travail de création qui mêle la culture pantsula avec d’autres formes de danses communautaires d’Afrique du sud. La compagnie y intègre par exemple le “gumboot” (danse percussive des mineurs sud-africains pratiquée avec des bottes en caoutchouc). Et surtout, elle contribue à faire sortir ces danses de rue authentiquement sud-africaines du ghetto, à les porter sur scène et à les faire connaître du grand public et des institutions.
Dans cette perspective, la compagnie invite des chorégraphes contemporains à créer à partir des spécificités de la pantsula, comme ce fut le cas en 2017 avec le chorégraphe sud-africain Grégory Makoma qui présente alors « Via Kanana », une création contemporaine qui dénonce la corruption omniprésente en Afrique du sud, en s’appuyant sur les savoir-faire dansés de la compagnie. Pour leur nouvelle création « Via Injabulo », la compagnie a fait appel au chorégraphe portugais Marco da Silva Ferreira et à Amala Dianor, chorégraphe franco-sénégalais qui ont tous deux un parcours professionnel dans la danse de rue. Ils ont été invités en Afrique du sud pour partager l’expérience de vie des danseur·ses dans le township. « Dans tous nos spectacles, nous racontons notre vie. Avec ces deux chorégraphes, nous avons étudié leur travail et nous nous sommes rendu compte que leur travail est très énergique et qu’il y a beaucoup de similitudes entre nous et ces deux chorégraphes. Nous voulions créer un spectacle ouvert, avec beaucoup d’énergie et qui exprime ce que nous ressentons. C’était une bonne idée de faire venir les deux chorégraphes de la France et du Portugal en Afrique du Sud. Ainsi, nous avons pu apprendre aussi leur culture et leur façon de travailler » explique Buru Mohlabane, directeur artistique de la compagnie.
La pantsula est une danse très syncopée, les pas sont très rapides, et les mouvements très techniques. Ces séries de mouvements de pieds et de jambes, appelés des footworks, constituent la base à partir de laquelle les danseur.ses proposent ensuite des déclinaisons. C’est à travers ces jeux de jambes et de mouvements de pieds que se créent ensuite les pas et surtout le rythme de la chorégraphie. Le groupe, la dimension collective est également très importante dans la pratique de cette danse qui y puise toute la force de son expression. La musique est évidemment un élément central de la pantsula qui se danse le plus souvent sur fond de house music et surtout de kwaito, un genre musical ayant émergé à Johannesburg, en Afrique du Sud, pendant les années 1990, qui mêle différentes sonorités issues de musiques africaines.
Dans ce nouveau spectacle dont le titre signifie en zoulou « voyage vers la joie », on est très vite saisi par l’énergie qui se dégage des huit danseuses et danseurs dont on ne peut que saluer la maitrise des mouvements, très techniques, exécutés avec agilité et célérité. Si l’entrée en scène est silencieuse et de ce fait, s’opère sur un rythme plus lent, les chorégraphies s’accompagnent ensuite de musique de plus en plus entrainante comme pour mieux accompagner leurs danses énergiques faites de contorsions, de tournoiements des hanches, de frappes des pieds et de claquements des mains. Élément constitutif de la culture pantsula comme moyen de communication, le sifflement est également pleinement intégré au spectacle et nous amène davantage à nous plonger dans l’ambiance festive des townships. Amala Dianor notamment avec Emaphakathini s’attache particulièrement à dépeindre la vie de la communauté dans les ghettos : danser, écouter de la musique, faire la fête… en transposant sur scène cette manière de se retrouver avec des glacières et des boissons. Les chorégraphies n’occultent pas cependant de mettre en scène les tensions dans les ghettos, inhérentes au pays et à son contexte instable et complexe.
On ne peut qu’être émerveillé·e par la prouesse des huit danseur·ses dont la totale coordination des mouvements et des pas dans les moments collectifs de danse impressionnent, les chorégraphies sont millimétrées et parfaitement maitrisées, exécutées à l’unisson en alternance avec des solos ou des duos ! On se dit alors, après avoir assisté à la représentation, qu’assurément, la compagnie Via Katlehong Dance est parvenue à nous transmettre sa joie à travers ce spectacle, tel un triomphe de la fête, un hommage à la vie et à la jeunesse, mais aussi une ode à la résilience dans un pays qui n’a pas été épargné par les difficultés."
Sandrine Cotten, fragil.org